La « criminologie » en France et ses arrières-plans idéologiques (suite)
2 03 2011Le site Internet du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche nous apprend le 25 février que : « Valérie Pécresse souhaite ouvrir le débat sur les études, les recherches et les formations en criminologie à l'ensemble de la communauté universitaire. Après avoir reçu le rapport du professeur Villerbu "Sur la faisabilité, la mise en place et le développement des études, recherches et formations en criminologie" en juin 2010, la ministre a demandé à Christian Vallar, doyen de la Faculté de Droit de l'Université de Nice de piloter le comité de suivi pour la mise en oeuvre du rapport Villerbu. Christian Vallar présente un rapport d'étape qu'il propose, avec Loic Villerbu, de soumettre au regard et à l'avis de la communauté scientifique ».
Ce projet de création d'une nouvelle section du CNU suscite depuis son origine une intense polémique dans le monde universitaire et scientifique, polémique aujourd'hui relancée pour plusieurs raisons.
Depuis ses premières manifestations en 2008, ce projet a créé une polémique illustrée par une première pétition lancée en janvier 2009 sur le site de l'association « Sauvons la recherche » et signée par près de 300 enseignants-chercheurs en sciences humaines et sociales. Aujourd'hui, ce sont les juristes de la section 01 du CNU (« Droit privé et sciences criminelles ») qui lancent une pétition (voir le texte de la pétition et la liste de ses premiers signataires). Ils constatent leur exclusion de cette initiative, contestent le démantèlement de fait de leur section qui en résulterait ainsi que la coupure qui serait ainsi organisée entre le droit pénal et les sciences criminelles censées l'éclairer. Ils rappellent aussi qu'il n'existe pas d'école doctorale en criminologie et quasiment pas de thèses revendiquant cette étiquette. On se demande ainsi à qui servirait en réalité cette nouvelle section de « criminologie » ? Leurs arguments, ajoutés à ceux de la précédente pétition, indiquent clairement que ces initiatives sont développées par un tout petit groupe de personnes qui n'est en aucun cas représentatif de la communauté universitaire et scientifique. Et ce dernier épisode n'est pas fait pour nous rassurer.
En effet, dans ce comité, outre son président, on retrouve naturellement Alain Bauer (qui est dans tous les comités), et puis trois membres de différentes directions du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Mais on n'aperçoit aucune personnalité connue et reconnue pour ses travaux scientifiques sur la criminalité. On peut en revanche aisément repérer les orientations idéologiques du nouvel animateur de ce comité.
Christian Vallar est professeur de Droit à l'Université de Nice et doyen de sa Faculté de droit. Mais il est aussi membre du comité scientifique de l'Institut National des Hautes Etudes sur la Sécurité et la Justice (INHESJ). Il y siège notamment en compagnie d'un proche, Bernard Asso, également professeur de Droit à l'Université de Nice, tous deux y dirigeant un Master « Sécurité intérieure ». Les deux hommes collaborent aussi au « Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines (DRMCC) » de l'ancien militant d'extrême droite Xavier Raufer (1). Bernard Asso est par ailleurs un homme politique local important, membre de l'UMP (et auparavant du RPR), conseiller général depuis plusieurs décennies dans le 10ème canton de Nice, désormais adjoint au maire de Nice (Christian Estrosi) et vice-président du Conseil Général des Alpes-Maritimes, connu aussi comme ardent défenseur d'une identité nationale qui « puise ses racines chez les Indo-Européens, l’empire romain, le christianisme, les rois de France ». M. Vallar et lui ont lui aussi participé à ces colloques organisés à Nice sur « l'identité européenne » depuis 2006. Le 12 décembre 2002, un article du Nouvel Observateur, dans un dossier consacré à la franc-maçonnerie (très présente à Nice bien que empêtrée depuis longtemps dans des séries d'affaires judiciaires et de conflits d'intérêt), présentait MM. Asso et Vallar comme des « piliers de la droite dure, façon Grece ou Club de l’Horloge ».
Tout ceci mine par avance le crédit que revendiquerait ce comité. Cela nous rappelle, une fois de plus, pourquoi il faut résister à ceux qui cherchent avant tout à conquérir du pouvoir institutionnel pour donner une caution universitaire et scientifique à leur bavardage idéologique.
(1) Voir le chapitre 1 d'un livre qui vient de paraître : Mathieu Rigouste, Les marchands de peur. La bande à Bauer et l'idéologie sécuritaire (2011).
Pour aller plus loin :
- Criminologie d’État et nouvelle science policière en France (Politix, 2010).
- La « criminologie » comme science appliquée et les discours mythiques sur la « multidisciplinarité » et « l’exception française » (Champ pénal, 2010)
- Une « nouvelle criminologie » en France : pour qui ? pour quoi ? (Revue de sciences criminelles et de droit pénal comparé, 2008).