Voile intégral : une enquête pour aller au-delà des préjugés habituels
12 04 2011Au moment où la loi du 11 octobre 2010 « interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public » vient d’entrer en vigueur, l’Open Society Foundations (OSF), basé à Londres, communique les résultats d’une recherche rapide réalisée à l’automne 2010 en France auprès de 32 femmes portant le voile intégral. Certes, 32 femmes, ce n’est pas beaucoup, mais c’est plus qu’on n’en avait jamais interrogé, puisqu’aucune enquête sur ces femmes n’avait été réalisée avant que l’interdiction soit décrétée. Par ailleurs, ce n’est pas mal si l’on tient compte du fait que les femmes en question ne courent pas les rues… Pour pallier autant que possible le petit nombre de l’échantillon, l’enquête a été menée dans des contextes variés : Paris et sa région, Marseille, Lyon, Avignon, Rennes, et quelques petites villes. La démarche de l’OSF commence à être connue : il s’agit de confronter les discours médiatiques ou politiques avec les réalités que vivent ceux et celles dont on parle sans qu’ils aient eux-mêmes voix au chapitre. Donc d’introduire un effet de réalité dans un débat dominé par la méconnaissance et la peur.
L'enquête auprès des concernées contredit quelques fantasmes
En préalable au vote de la loi, le rapport de la commission présidée par André Gérin, présenté le 26 janvier 2010, a soutenu qu’il s’agit de « pratiques radicales, entre archaïsme culturel et prosélytisme intégriste », « l’étendard de mouvements communautaristes et radicaux ». Vrai ? Faux ? Le rapport de l’OSF fait voir que, si archaïsme il y a, ce n’est pas faute d’ancrage dans la culture française (si cette expression a un sens), puisque presque toutes (29 sur 32) sont nées en France, un quart sont des converties, et près de la moitié ont le baccalauréat ou plus. « Prosélytisme intégriste » ? En tout cas, le prosélytisme ne passe pas par la voix de prêcheurs barbus dans les recoins des quartiers. Une seule est affiliée à une organisation musulmane, elles sont fréquemment très critiques à l’égard des organisations qu’elles connaissent et une majorité fréquente rarement la mosquée. « Des cheminements personnels entre servitude volontaire, libertés aliénées et situations de contraintes », « une propension au conformisme vis-à-vis des valeurs de la famille et de la communauté » ? On peut certainement contester l’usage que ces femmes font de leur liberté, mais c’est un fait qu’elles revendiquent pour leur part une démarche spirituelle. En tout cas, il est difficile d’alléguer pour les blâmer leur conformisme à l’égard de la communauté ou de la famille. 9 sur 10 des interviewées ont été les premières de leur famille à porter le voile, les deux tiers ont fait face à l’opposition de leur mère, les maris de celles qui sont mariées ne sont pas tous favorables. Elles sont en fait majoritairement non-conformistes, et elles ont en outre pris l’habitude de se blinder contre les insultes qu’elles ne manquent pas de recevoir dans la rue. Ce sont des femmes de caractère.
Le rapport de l’OSI ne répond pas à toutes les questions qu’on peut se poser à leur propos. Notamment, s’il écarte les explications fallacieuses et fantasmatiques, il apprend somme toute peu de choses sur ce qui a influencé de façon décisive leur choix de porter le voile intégral. C’est une question importante puisque ces sources d’influence vont demeurer, une fois la loi en application. Mais il fait bien voir la singularité de ces femmes dans leur propre milieu.
- Lire le rapport (en anglais), ou ses principaux résultats (en anglais et en français) sur le site de l'OSF.
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